Objet : Liste consacrée aux discussions à propos de la composition et de la typographie
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- From: "Eric Angelini" <keynews.tv AT skynet.be>
- To: <typographie AT irisa.fr>
- Subject: Maison des Feuilles - Danielwski
- Date: Fri, 8 Nov 2002 19:35:04 +0100
Reçu hier. Lu 60 pages déjà.
Ça se présente bien, je trouve. Un beau bloc de papier qui dit
« Je suis un bouquin de chez bouquin, moi -- pas de l'eau tiède
minuitiste ! » (pardon à Minuit, P.O.L. et allii que je vénère
tous les jours !). Couverture sombre, reliure souple, odeur de
pétrole finement cracké. On ouvre au hasard, on feuillette avec
le pouce, on laisse tourner les pages (+ de 700 !) et on sent
tout de suite le mec qui veut réaliser un « projet », façon « La
Vie mode d'emploi » de Perec. Certains arrêteront là. Moi j'ai
balancé 29 euros sur le comptoir de Filigranes (ouch !).
À la maison, casque sur les oreilles. [Je suis dans la « family-
room », comme disent les agences immobilières belges top ringardes,
pour cause de bureau pris par la fille (qui chatte avec la planète
entière) et de « salle de jeu » squattée par le fils (qui Counter-
Strike à mort des 'terros' retors)]. Casque car la meuf regarde
« Envoyé Spécial » sur FR2 et que Danielewski demande un minimum de
concentration. (Dans les oreilles ? Pete Namlook & Klaus Schulze,
< The Dark Side of the Moog >, tome VIII -- idéal en boucle mezza
voce pour repousser les malheurs du monde). Je ne lis évidemment
pas la 4e de couverture, ni les textes imprimés sur les rabats
et j'attaque maniaquement avec la première page en remarquant
que le mot « Maison » est en bleu (ce sera le cas pour toute la
suite, l'auteur allant jusqu'à marquer ainsi les mots allemands
« haus » (dans une citation de Heidegger) ou « house » (dans un
nom composé d'imprimeur anglo-saxon). Ça se poursuit par une mise
en retrait du nom de l'auteur vrai au profit d'un certain Zampano,
fictif comme on le verra, et d'un commentateur tout aussi virtuel,
Johnny Errand (?!) grand pourvoyeur de notes de bas de page inter-
minables. Claro traduisit (et vous lûtes ici son interview). Avant
d'attaquer le corps du délit on trouve une « note sur la présente
édition » qui cherche à faire croire au lecteur qu'il existe plu-
sieurs versions de l'opus, certaines brutes de décoffrage en n/b,
d'autres avec bonus, 3D, scènes coupées et interviews exclusives.
Je crois que ce qui est proposé aux lecteurs de Navarre est la
« bonne » édition, la seule, la « 2 couleurs » -- vous voyez le
topo... Table des matières, avant-propos, on ne renacle pas sur le
teasing, jusqu'au comminatoire « ceci n'est pas pour vous » isolé
en haut d'une première page blanche. Arrive l'introduction, folio-
tée avec force I, II, III, IV... jusque XXIX et un premier choc :
du courier (la fonte) au fer à gauche, corps quoi ? 13 ? sans au-
cune coupures de mots à droite... Tiens, on veut faire genre, en-
core ? La cata c'est le texte qu'on commence à lire -- épouvanta-
ble pied gauche, et encore, tordu de chez thalidomide ! Mais zut,
on avance, on a payé ça bonbon, merde ! On avance et on termine
l'intro. Bien. On nous refait le coup « Blair Witch », mais sur
papier, allez, c'est pas grave, tout le monde doit bien vivre...
On est donc à la page un maintenant. Du times, tiens. Empagé bi-
zarre, avec notes qui débordent à droite et à gauche, lettrines
affreuses, encrage actuel (trop pâle -- ou alors je vieillis).
Et on lit la note 5, note dans la note 4 (Roland Moreno nous avait
déjà fait le coup -- sublime ! -- avec sa « Théorie du Bordel
ambiant », en plus humoristique), note 5 disant donc que le tra-
ducteur, bla, bla, bla, s'exprimera toujours en gill... D'accord,
c'est censé devenir plus clair... On continue. Mystère. La mayo
prend. On continue. On risette de temps en temps. On rêve (à
Pan-Pan, la strip-teaseuse). On rigole franchement. On s'épou-
vante toujours de la langue employée : c'est fait exprès ou le
traducteur était bourré ? -- dès la page un ? pas possible. Les
récits s'entrecroisent, j'ai du mal à suivre, surtout que ma meuf
me gueule de baisser le casque qui dérange la télé (!), que Cécile
veut que je signe je ne sais quoi et que le canari essaie de m'hyp-
notiser lui aussi...
J'en suis à la page 66, je viens donc de tourner la 65 et... choc
délicieux, un bloc de combien ? 200 noms ? -- de photographes me
tombe sous les demi-lunes. Magnifique ! Moi qui adore les listes,
je suis servi ! Enfoncés Rabelais, Sterne, Swift, Verne !
...
J'en suis là, j'ai hâte de poursuivre, c'est un peu tape à l'oeil,
ça ramène sa culture-compil à tout bout de champ -- et je te mets
du Heidegger dans le texte, du Dante en rital, de l'espagnol de
chez Quichotte et Ménard (clin d'oeil) -- et je te joue de la ponc-
tuation (ou de son absence) 25 ans après tout le monde, des appels
de note en alpha, beta, etc. grecs, de la mise en page destroy,
des mots barrés, des passages illisibles, des formules de math pour
faire joli et « différent » -- la totale typo quoi... Bref, ça sent
un peu l'ado qui bricole dans la Remington, option elle va cracher
tout ce qu'elle a dans le ventre, la salope -- mais bon, je brûle
d'en savoir plus sur cette maison shootée aux anabolisants, sur nos
héros Bukovskiens et sur tout le bastringue. J'espère être surpris
encore, on peut rêver...
à+
EA.
- Maison des Feuilles - Danielwski, Eric Angelini, 08/11/2002
- Re: Maison des Feuilles - Danielwski, Patrick Cazaux, 08/11/2002
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