Objet : Liste consacrée aux discussions à propos de la composition et de la typographie
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- From: Jacques Melot <jacques.melot AT isholf.is>
- To: typographie AT w3ext.irisa.fr
- Cc: les mille univers <les.mille.univers AT wanadoo.fr>
- Subject: Accentuation des capitales, des majuscules [fut : accent]
- Date: Mon, 23 May 2005 09:48:31 +0000
Le 19/05/05, à 19:00 +0200, nous recevions des mille univers :
Bonsoir,
j'ai une question toute bête
en lettres capitales doit-on mettre l'accent ?
CHATEAU ou CHÂTEAU
merci
Ah ! une question « innocente » pour relancer l'activité du forum...
Avant qu'on ne commence à trouver bon de se regarder marcher, l'usage consistait à ne pas accentuer les capitales, du moins pas systématiquement ou encore pas complètement, étant entendu que cet usage a de tout temps été passablement transgressé. Il n'y a qu'à regarder autour de soi (en France) pour s'apercevoir que cet usage persiste largement.
Comme je l'ai déjà signalé ici, le fait de ne pas accentuer les capitales ou de les accentuer partiellement (en suivant des règles) relève de la convention : l'argument consistant à voir autant de fautes d'orthographe que d'accents supprimés sur les capitales est par conséquent caduc. Je pense que ceci a été compris et est maintenant admis. La question se réduit donc à savoir si cette convention est ou reste, au moment où nous nous exprimons, avantageuse ou s'il est souhaitable de l'abandonner. Beaucoup, dont la pensée reste sans doute imprégnée de celle du « Républicain de première heure », sont d'avis qu'il faut procéder à un changement d'usage (rupture symboliquement équivalente à la Révolution) et à une uniformisation (pensée centralisatrice).
Pour répondre à cette question, on peut commencer par remarquer que les circonstances concernant l'emploi des capitales n'ont guère changé avec le temps, notamment le fait que leur usage est toujours limité en extension (majuscules, mots isolés, titres ou petites phrases), l'écriture de longs textes en capitales ne se justifiant, sauf erreur de ma part, en aucun cas, et ce n'est pas l'usage qui en est fait dans les placards légaux accompagnant de nos jours les logiciels qui apporte un démenti à cela : tout le texte écrit en capitales (pour attirer l'attention ou donner de l'importance, je suppose) pourrait, par exemple, l'être en gras, pour un résultat d'ailleurs supérieur en ce qui concerne la lisibilité.
Les textes en capitales, du fait de leur caractère nécessairement limité, sont des textes qui annoncent ou résument quelque chose. Ils sont par nature accompagnés d'un contexte. On se rappellera à ce propos qu'aucun texte n'est rigoureusement dépourvu d'abstraction : le discours, quel qu'il soit, même descriptif, s'appuie de manière essentielle sur un contexte, sur des non-dits. Lorsque nous nous exprimons, à proprement parler nous signifions, plus que nous décrivons. Ce fameux PALAIS DES CONGRES apparaît au fronton du bâtiment ainsi désigné, lequel bâtiment constitue un contexte a priori suffisant pour supprimer toute ambiguïté, alors que dans un texte le concernant on écrira le nom en bas de casse avec une majuscule là il où il en faut. De même en ce qui concerne le titre figurant sur la couverture d'un livre ou l'annonce d'un spectacle sur une affiche. Dans tous ces cas, une personne qui fait sien l'usage consistant à ne pas accentuer les capitales peut très bien y déroger pour la circonstance, où ce qui relève de la décoration prime l'orthotypographique (cf., par exemple, les noms de personnes écrits sans majuscule). En définitive, dans des conditions normales, tout texte émis par un humain à destination d'humains est sera compris - s'il peut l'être - du fait d'une certaine « connivence », qui n'est ici qu'un autre mot pour désigner un contexte partagé. C'est ainsi que lorsque nous recevons un « mon cher ami », nous n'y comprenons pas ce qui dans une autre langue serait « my expensive friend » (le logiciel de traduction xxx traduit correctement « mon ami » en « my friend », mais « mon cher ami », en comprenant de travers « cher », qui devient « expensive »). De même, un « pas mal » est souvent l'équivalent de « (particulièrement) bien », mais pas toujours...
Cela dit, il est des cas où une ambiguïté est à ce point manifeste qu'elle entraîne une interruption dans la lecture, en contradiction avec l'un des principaux critères de bonne rédaction. En dehors du fait qu'il faut minimiser un tel événement, puisqu'il n'apparaîtra en pratique que dans un titre (ou équivalent) et que l'ambiguïté sera levée dans ce qu'il annonce ou résume, il est naturellement préférable d'éviter ce genre de situation. Il ne faut cependant pas confondre ambiguïté et imprécision. L'usage dans un titre d'un pronom personnel, a fortiori d'un pronom asexué tels que « tu » ou « nous », est une imprécision (qui disparaîtra lorsqu'on prendra connaissance de ce que recouvre le titre en question), alors que « SALE », pour « salé » ou « sale », est une ambiguïté, même si celle-ci sera également levée par la suite et même plus sûrement que l'imprécision dans bien des cas. À moins d'être de mauvaise foi, il faut bien reconnaître que les ambiguïtés sont, au moment où l'on bute sur elles, plus gênantes dans l'ensemble que les imprécisions. Dans une phrase formée dynamiquement (ce qui exclut les citations, comme les titres d'oeuvres, etc.), il revient à celui qui s'exprime de se contrôler afin que de telles ambiguïtés n'apparaissent pas. C'est trop demander ? Certainement pas ! C'est en effet bien ce que tout un chacun fait lorsque, par exemple, nous évitons un pronom possessif « son » ambigu : « il prend son chapeau » (le sien ou celui d'un autre ?). Tantôt nous y parvenons sans réflexion, tantôt non. Parfois aussi nous échouons sans nous en rendre compte.
Une dernière remarque concernant la lisibilité. Si l'on raisonne dans des cas réels (non séparés de leur contexte, écrit, matériel ou autre), les ambiguïtés restent d'importance marginale et ces textes en capitales - nécessairement courts - sont très lisibles sans accent, à l'évidence pour les mêmes raisons qu'un texte reste longtemps lisible après diverses altérations (inversions de lettres à l'intérieur du mot, lettres cassées ou partiellement masquées, mais encore changement de police, de style, etc.) et aussi, tout simplement, du fait de l'existence de cette « connivence » dont il a été question plus haut. Le cerveau humain est loin de lire un texte par une sorte d'analyse linéaire dans l'espace et le temps comme une approche un peu trop primaire le laisserait supposer : la perception globale y joue un rôle considérable, essentiel même, autant qu'une sollicitation permanente de l'expérience commune.
Il est des cas - techniques - dans lesquels ne pas accentuer les capitales peut être considéré comme une faute franche, en ce sens qu'elle entraîne la perte d'une information que l'on prétend par ailleurs apporter. Je pense à tout ce qui touche de manière essentielle aux noms propres, même s'il est vrai qu'en pratique la difficulté se réduit la plupart du temps à la question de l'accentuation des majuscules. Voici un exemple réel précis de difficulté issue de la capitalisation complète du nom propre. Si vous décidez de citer dans une bibliographie le dictionnaire français-latin de Quicherat et Chatelain en vous référant à ce que vous trouverez dans l'ouvrage, rien dans ce dernier ne vous permet de restituer en toute certitude l'orthographe exacte du nom du second auteur. En effet, ce nom, qu'il s'agit de restituer en petite capitales ou en bas de casse, donc dans tous les cas avec ses accents, n'apparaît nulle part en bas de casse dans l'ouvrage en question et, de plus, sur la page de titre, on constate un usage inconstant des accents sur les capitales, l'accent circonflexe en particulier y étant supprimé (on trouve « AGE » et non « ÂGE ») : on ne peut donc décider, sans recherche ou sans une aide extérieure qui pourra s'avérer difficile à obtenir, s'il faut un accent circonflexe sur le premier a du nom du second auteur. De fait, le nom commun « châtelain » prend un accent circonflexe, alors que le même nom utilisé pour les personnes ne prend pas toujours cet accent (cf. le Petit Robert des noms propres, par exemple). Comme le montre d'ailleurs la page de titre en question, un texte un peu long que l'on veut capitaliser doit en fait être composé en petites capitales qui, elles, tout comme les bas de casses, exigent l'usage systématique des accents. Je dirais volontiers qu'un texte composé en petites capitales dans lequel on a supprimé les accents l'a été erronément pour un texte qui aurait dû être composé en grandes capitales et inversement.
Personnellement, j'accentue systématiquement les capitales là où il y a quelque raison technique de le faire, en particulier dans des textes didactiques. Je le fais aussi dans les textes destinés à un public international (où la « connivence » culturelle et linguistique sera dans l'ensemble plus faible que chez un public français). Dans la quasi totalité des cas, pour ne pas dire toujours, il s'agit en fait d'accentuation des majuscules. Je dois avouer que, par entraînement, j'ai maintenant tendance à mettre des accents sur les capitales en toutes circonstances... Quoi qu'il en soit, hormis les fois où l'information s'en trouve fondamentalement faussée - ce qui est rare si l'on a la sagesse de se limiter à des situations réelles -, il n'y a pas lieu de faire grand cas de tout cela, a fortiori de se disputer.
Jacques Melot
- Re : [typo] accent, (suite)
- Re : [typo] accent, Armelle Domenach, 28/05/2005
- Re: [typo] accent, Leraillez Benoit, 26/05/2005
- Re: Re : [typo] accent, Eric Angelini, 26/05/2005
- Re : [typo] accent, Didier Pemerle, 26/05/2005
- Re: Re : [typo] accent, Anne Guilleaume, 20/05/2005
- Re: [typo] accent, Tardigradus, 21/05/2005
- Re: Re : [typo] accent, les mille univers, 20/05/2005
- Re: Re : [typo] accent, Pierre Duhem, 20/05/2005
- Re : Re : [typo] accent, Leraillez Benoit, 20/05/2005
- Re: Re : [typo] accent, les mille univers, 20/05/2005
- Re: Re : [typo] accent, Pierre Duhem, 20/05/2005
- Accentuation des capitales, des majuscules [fut : accent], Jacques Melot, 23/05/2005
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- Re: [typo] Accentuation des capitales, des majuscules [fut : accent], Pierre Duhem, 23/05/2005
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