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typographie - Re: [typo] Des points X la place des balles ?

Objet : Liste consacrée aux discussions à propos de la composition et de la typographie

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Re: [typo] Des points X la place des balles ?


Chronologique Discussions 
  • From: Jean-François Roberts <jean-francois.roberts AT wanadoo.fr>
  • To: <typographie AT irisa.fr>
  • Subject: Re: [typo] Des points X la place des balles ?
  • Date: Sat, 07 Jun 2003 09:00:14 +0200

Encore cette notion de "contamination"...

Si les Gaulois (et leurs cousins de [Grande] Bretagne) n'avaient pas Ã©té
contaminés Ã  répétition, nous en serions (de part et d'autre de la Manche) Ã 
évoquer le _Mabinogion_ (dans le texte) ou ses Ã©quivalents ; si leurs
envahisseurs scandinaves et germains n'avaient Ã©té contaminés en retour,
nous pourrions disserter sur l'héritage de l'_Edda_ ou des _Nibelungen_. Le
français, comme l'anglais sont par essence issus de ladite contamination
polymorphe et tous azimuts... Serait bon de s'en convaincre. Et pourquoi
penser que Ã§a doit s'arrêter ? Et au nom de quoi le souhaiter ?

En plus, le français et l'anglais n'ont cessé de s'entre-contaminer au fil
des siècles... La totale quoi. Autant dire que l'émoi d'une Thérèse d'Avila
n'est rien devant ces langues qui copulent furieusement sur un rythme
millénaire et n'en finissent de s'entreféconder en une panspermie jubilante.

(Bon... on se calme.)

Et vous pensez sérieusement arrêter Ã§a ? Maintenant ? Comme Ã§a ?

Pendant tout le XVIIIe et le XIXe siècle, ce sont les plus grands auteurs et
penseurs français qui ont goulument importé les nouveauté anglaises (et
allemandes, d'ailleurs) : suffit de penser Ã  _L'Encyclopédie_ de Diderot et
d'Alembert. Et la terminologie a suivi dans le même mouvement.

Pour ce qui est de "trivial", le terme Ã©tait parfaitement Ã©tabli (et
considéré comme d'un usage parfaitement normal, voire classique) dans les
milieux des mathématiques universitaires français du début des années 60
(1960) : et ceci y compris chez les membres du groupe Bourbaki, chez qui
l'anglomanie n'était pas le vice le plus flagrant. (Souvenirs perso.)

En tout cas chez des gens, donc, qui a priori apportaient journellement la
preuve qu'ils maîtrisaient correctement leur propre langue (et tout Ã  fait
suffisamment l'anglais). On sortait d'ailleurs Ã  peine de l'"université de
papa" (et du lycée idem) : on Ã©tait tout Ã©berlué d'avoir dépassé, en France
(vers 1961) le cap des... 100 000 (cent mille) Ã©tudiants en France. Autre
temps... Et oui, "trivial" tenait le haut du pavé dans le discours
mathématique français d'alors. Et les profs de math de l'université avaient
en général fait leurs humanités classiques au lycée...

Ceci soit dit pour relativiser le diagnostic qui se fait sur la "toute
récente" adultération de notre noble langue française.

Reste l'excellente question : quid de l'appel Ã  l'étymologie, et au sens
premier d'un mot en français ?

Je dirai d'abord qu'il n'y a rien d'"acrobatique" Ã  rappeler l'étymologie
d'un mot pour Ã©clairer son devenir historique, et la dérive sémantique qu'il
a pu subir en français. Ã‡a ne se veut aucunement une "justification" de quoi
que ce soit, juste une aide Ã  la compréhension - en l'occurrence, que vient
faire ce mot dans une discipline universitaire "technique" ? (On peut Ã  la
rigueur me taxer de faire de l'histoire des idées : soit - j'assume).

Ensuite, la philosophie - mais aussi la poésie et la bonne littérature... et
même les maths et la physique - est friande de ce genre de retour aux
sources des mots. Un sens premier ne s'efface jamais complètement. On aime
encore de nos jours lire Descartes ou Pascal : qui niera qu'on trouvera chez
eux des vocables "archaïsants" Ã  l'aune du français moderne - ou des
acceptions archaïques de mots qui ont parfois suivi une trajectoire complexe
entre-temps ?

Quand un Max Planck a voulu exprimer son concept fondateur (oui, c'était un
boche, je l'accorde...), il n'a pas hésité Ã  recourir au bon vieux latin
scolastique : _quantum_. Et il a Ã©té suivi en France par un Louis de Broglie
et tous les physiciens d'alors. Une contamination, donc. Un germanisme,
même, puisqu'il nous vient d'outre-Rhin. Que faire ?

(Rappelons qu'à la Belle Epoque, on avait même entrepris de donner une
édition française de la monumentale _Enzyklopädie der mathematischen
Wissenchaften_ allemande, alors en cours - entreprise définitivement
interrompue par la Grande Guerre. Autant dire que ces gens-là Ã©taient des
contaminés ambulants de la pensée allemande. D'ailleurs, on traduisait même
Kant et Husserl... C'est dire !)

En bref : il me paraît parfaitement légitime, dans le contexte d'une pensée
structurée qui se cherche une expression, d'avoir recours Ã  *toutes* les
richesses de la langue - y compris le néologisme bien formé, ou le retour Ã 
une acception tombée en désuétude par ailleurs.

Ce qui ne légitime, bien sûr, ni l'à-peu-près, ni le n'importe-quoi... Et Ã§a
n'est pas une entreprise triviale, en tout cas.

Et si les structures mathématiques entrent dans la danse (ou la contredanse)
à leur tour, Thérèse d'Avila n'aura plus où donner de la tête.



> De : Thierry Bouche 
> <thierry.bouche AT ujf-grenoble.fr>
> Société : Nonsense Inc.
> Répondre Ã Â : 
> typographie AT irisa.fr
> Date : Fri, 6 Jun 2003 18:22:03 +0200
> Ã€Â : 
> typographie AT irisa.fr
> Objet : Re: [typo] Des points X la place des balles ?
> 
> 
> 
> Le vendredi 6 juin 2003, Ã  17:14:31, Jean-François Roberts Ã©crivit :
> 
> (...)
> 
> JFR> Quant Ã  "trivial" en mathématique, c'est bien son sens d'origine (en
> JFR> français Ã©galement), issu de la tradition scolastique (sans "h" en
> français
> JFR> !)
> 
> damn, serais-je infecté ?!
> 
> JFR> des arts libéraux (eux-mêmes au nombre de sept) : le _trivium_
> JFR> ("carrefour") Ã©tant le groupe de trois disciplines enseignées en 
> premier,
> JFR> seuls les Ã©tudiants avancés progressant au _quadrivium_ (les 4
> disciplines
> JFR> "supérieures"). Est trivial ce qui est Ã  la portée du premier venu, 
> donc
> JFR> (et, par extension, "vulgaire", au sens du _vulgum pecus_ ou de la
> JFR> "vulgate", avec la même dérive de sens, en français, que ce terme).
> 
> Moui, jetez tout de même un oeil au Robert historique (que je n'avais
> pas consulté). Vous semblez refuser le terme d'anglicisme Ã  une
> expression qui nous revient après avoir transité par cette langue.
> 
> C'est pourtant une chose qui arrive souvent dans la vie des mots : une
> langue en influence une autre, qui conserve un sens entre-temps tombé
> en désuétude, puis le réinjecte par contamination. Or il se trouve que
> bien souvent la langue d'origine lui avait trouvé un remplaçant. C'est
> en général par inculture que de frais diplomés adoptent comme calque
> ou néologisme le terme initial, qui a pourtant perdu ce sens. Un
> recours acrobatique Ã  l'étymologie ne change rien Ã  l'affaire.
> 
> Si le latin est certes une source commune, les abus actuels se font
> Ã©videmment sous l'influence de la littérature publiée en anglais (qui
> est, je le répète, produite pour sa plus grande part dans les domaines
> scientifiques par des personnes qui ne maîtrisent ni leur langue
> maternelle, ni leur langue d'adoption : Â« langue de travail Â» ou
> Â« esperanto de fait Â»).
> 
> 
> 
> -- 
> Cordialement,
> Thierry          
> 




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