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typographie - Re: Pourquoi Johannesburg ? (noms des peuples am�rindi ens)

Objet : Liste consacrée aux discussions à propos de la composition et de la typographie

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Re: Pourquoi Johannesburg ? (noms des peuples am�rindi ens)


Chronologique Discussions 
  • From: Olivier Randier <orandier AT fr.inter.net>
  • To: typographie AT irisa.fr
  • Subject: Re: Pourquoi Johannesburg ? (noms des peuples amérindi ens)
  • Date: Wed, 4 Sep 2002 02:05:21 +0200

>J'en veux pour preuve la récente disparition des médias québécois du mot
>Montagnais. Jusqu'à récemment ce mot désignait une tribu indienne de la
>Côte-Nord du Saint-Laurent. En 1979, la Gazette officielle du Québec
>recommandait encore d'utiliser le mot Â« Montagnais Â» (avis 46 sur la graphie
>des noms de peuples amérindiens).
>
>http://www.olf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/officialisation/linguistiq
>ue/graphiepeuples.html
>
>Subitement, par un effet de correctivisme politique, on a commencé Ã  lire un
>peu partout Â« Innu Â» (à prononcer impérativement innou) car, comme le dit
>l'OLF Â« [cette] communauté amérindienne privilégie pour se nommer
>l'ethnonyme Innu dont dérive, conséquemment, l'adjectif innu (innus, innue,
>innues). Â»
[...]
J'en ai peut-être déjà parlé ici (si c'est le cas, je m'excuse de me
répéter), mais je crois que cette tendance récente Ã  la xéno-orthographie
savante et illisible est largement due Ã  l'influence anglosaxonne et
qu'elle n'est pas politiquement innocente. J'avais lu ou entendu quelque
part une analyse comparative intéressante sur les colonialismes anglais et
français par rapport Ã  leur prise en compte des cultures locales. En gros,
et pour simplifier sauvagement, dans l'empire colonial anglais, un indigène
restait toujours un indigène, c'est-à-dire bien entendu (sic) un sauvage.
Au nom de quoi, il Ã©tait relativement libre de parler sa langue et de
s'habiller avec des peaux de bêtes (resic), du moment qu'il rappliquait
dare-dare quand on le sifflait. C'était la logique du développement séparé,
dont la forme extrême est l'apartheid. Dans l'empire colonial français,
l'indigène Ã©tait d'abord un sujet français, c'est-à-dire qu'on lui
accordait une chance (infime, certes) de devenir un vrai citoyen, s'il se
comportait bien (c'est-à-dire aussi s'il  rappliquait dare-dare quand on le
sifflait). Au nom de quoi, on lui imposait notre langue, notre culture,
notre religion, et que Â« nos ancêtres les gaulois Â». On sait aussi quels
excès cette attitude a entraîné, y compris ici-même, avec nos cultures
locales.

Je n'irais pas me prononcer sur la question de savoir laquelle des deux
attitudes Ã©tait la pire, surtout après notre récente bouffée de honte, mais
je pense que Ã§a donne une certaine tonalité au débat sur la francisation
des noms. Jusqu'à récemment, la langue française considérait qu'elle avait
vocation Ã  décrire le monde, et pour ce faire, elle n'hésitait pas Ã 
écorcher les graphies locales pour les fondre dans le moule de la
prononciation française. Au contraire, l'anglais a toujours considéré que
le reste du monde ne valait pas la peine d'être décrit.
Franciser des noms, c'est permettre leur familiarité, mais c'est en même
temps une attitude possessive et arrogante. Ne pas le faire, Ã  l'anglaise,
c'est condamner l'étranger Ã  le rester irrévocablement.

Je constate que, de plus en plus, la tendance s'oriente vers un apartheid
linguistique que je trouve inquiétant, même si je ne suis pas totalement
convaincu que la méthode française donne de meilleurs résultats.

Le pire Ã©tant qu'on en arrive souvent maintenant Ã  transcrire savamment,
mais selon la prononciation anglaise, ce qui, du coup, ne satisfait plus
personne. Et il y a aussi un effet de paresse ou d'économie : aujourd'hui,
on peut facilement récupérer des cartes sur Internet, mais les sources sont
souvent anglaises, modifier les transcriptions des noms, Ã§a demande du
travail, et les connaissances appropriées. Du coup, la transcription Ã 
l'anglaise, Ã§a arrange beaucoup de monde : pourquoi se faire ch... pour que
le lecteur comprenne, c'est Ã  lui de faire l'effort, après tout.

Par ailleurs, je remarque que le lecteur y perd de plus en plus, car on lui
assene maintenant, pour un oui pour un non, des orthographes savantes
incompréhensibles, sans doute pour faire plus vrai, sans se soucier de la
difficulté que Ã§a représente pour lui. Quelle proportion de la population
française sait Â« lire Â» un caron, ou même simplement une brève ? Pourtant,
on en voit fleurir partout.
Par exemple, j'ai composé récemment un ouvrage qui comportait un chapitre
sur l'épopée de Gilgamesh. L'auteur faisait référence Ã  l'édition de
Gallimard, qu'on m'a offert, mais que j'ai Ã©té incapable de lire, tant la
typographie est rebutante (truffée de crochets, de parenthèses, de <>, /,
etc.). Tous les noms propres y ont une transcription savante, comme
Gilgames (s caron), Humbaba (caron sous le H). Le pire Ã©tant que seul la
couverture est composée correctement avec un caron sur le s : Ã 
l'intérieur, les carons sont remplacés par des v (en romain, alors que le
texte est en italique). On voudrait dégouter le lecteur qu'on ne s'y
prendrait pas autrement. Pour mon ouvrage, j'ai insisté pour revenir Ã  des
transcriptions plus accessibles, ce qui me paraissait plus correspondre Ã 
l'intention de l'auteur, dont le but Ã©tait, selon lui, de donner envie de
lire les textes dont il parlait.

La transcription est une nécessité, ne serait-ce que parce que la plupart
des lecteurs ne connaissent qu'un système d'écriture, parfois deux. Quand
on transcrit, c'est pour pouvoir prononcer un mot dont l'écriture n'est pas
pour nous signifiante. Ã€ quoi sert une transcription qui ne l'est pas non
plus ? Va-t-il falloir bientôt apprendre tout Unicode par coeur, simplement
pour consulter un atlas ? Et qu'est-ce que cela signifie sur notre rapport
avec l'étranger ? Et sur l'élitisme de notre Ã©ducation ?

Olivier RANDIER -- Experluette 
mailto:orandier AT fr.inter.net





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