Objet : Liste consacrée aux discussions à propos de la composition et de la typographie
Archives de la liste
- From: "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer AT cegetel.net>
- To: <typographie AT listes.irisa.fr>
- Subject: Re: [typo] contribution et codage
- Date: Mon, 17 May 2004 01:23:18 +0200
Title: Re: [typo] contribution et codage
Eh, doucement ! Je n'ai jamais
douté que les Chinois aient imprimés des livres
à l'aide de caractères mobiles à cette époque ! Là, vous êtes un peu gonflé
de laisser entendre que j'aurais écrit une chose pareille... Où avez-vous lu ça
?
Je soulignais simplement ce qui semble être une
évidence pour tout le monde et que vous avez pourtant contesté au début
: le fait que le nombre astronomique d'idéogrammes d'une casse
chinoise était un défit supplémentaire posé au développement de
l'imprimerie à caractères mobiles.
Au point que la xylographie traditionnelle a
perduré en Chine, et massivement, jusqu'à une époque relativement avancée où le
système de Gutenberg s'était déjà très largement imposé pour ce qui concerne les
systèmes d'écriture alphabétique.
Il est entendu que des sytèmes de classement des
idéogrammes existaient. Mais plus que le sytème théorique de classement des
idéogrammes, c'est l'organisation matérielle du rangement des types et
de leur accessibilité qui est en cause. Et elle concernait à mon avis,
trois aspects au moins :
(suite de la pataphysique ;-)
1 - la confection de la police : préparer un
assortiment de 30.000 caractères différents était une gageure incomparable par
rapport à une police alphabétique. On peut se demander s'il ne fallait pas
être un fin lettré pour concevoir une telle police ou bien peut-être fallait-il
s'aider de dictionnaires pour en organiser la production alors que pour une
police alphabétique... sans faire injure à personne ni sous-estimer quoi que ce
soit, la simple connaissance de l'alphabet devait permettre de produire un
ensemble complet et opérationnel (là, je vais me faire incendier ;-) Assez
curieusement, on voit assez bien ici en quoi le découpage de bois gravés
pouvait être une solution efficace pour préparer un
assortiment d'idéogrammes : statistiquement, les répétitions sont
beaucoup moins nombreuses qu'en sytème alphabétique, et les caractères beaucoup
plus variés ; la gravure manuelle reste donc principalement un travail de
dessin alors qu'avec l'alphabet, elle aurait consisté pour l'essentiel à
reproduire mécaniquement un très grand nombre de caractères identiques... (là
j'interprète un peu, encore ;-) Et plus tard pour le métal, c'est assez
vertigineux : s'il s'agissait de tailler autant de poinçons en acier, on
n'ose même pas imaginer le temps qu'il aurait fallu consacrer à en produire
30.000 ! (mais peut-etre ne procédait-on pas de la sorte pour ce type d'écriture
tellement celà semble incroyable ?-) En tout cas, on imagine assez bien que
l'investissement de départ en moyens humains, en temps, et même en capital
pouvait être très sensiblement différent de celui nécessaire à préparer un
outillage alphabétique...
2 - la
casse elle-même, je n'y reviens pas. Convertir le classement de 30.000 symboles,
qu'il soit phonétique ou par ordonnancement des clés, en une topographie
accessible à deux dimensions, et mémorisable dans ses grandes lignes au moins...
Contrairement au système alphabétique, il ne peut s'agir d'une simple suite
conventionnelle préétablie. C'est nécessairement un sytème à ramifications
complexes mais là, je sèche... et je regrette de ne rien connaître au Chinois
pour continuer ma pataphysique ;-(
3 - l'accessibilité ergonomique et
mnémotechnique... retrouver un parmi 30.000. Supposons que le niveau d'éducation
de l'ouvrier compositeur soit à la hauteur de la tâche. Ce qui est déjà
peut-être une particularité remarquable du sytème. Qu'en est-il de la rapidité
de discernement pour les symboles les moins courants ? Faut-il les "lire" ou
simplement les voir pour les distinguer ? Si les caractères apparentés sont
regroupés, n'y a-t-il pas plus de risques d'erreurs ? Mais encore... la lecture
à l'envers d'un ensemble comportant un si grand nombre de symboles... Peut-être
un peu moins évident qu'avec quelques dizaines de lettres alphabétiques, non ?
Etc.
Bref, tous ces défis ne sont pas étrangers à
mon avis, à la relative lenteur du déploiement de la typographie en Chine. Le
miracle à mes yeux c'est qu'au bout du compte, même avec quelques
siècles de retard sur l'Occident, ce système industriel ait quand-même fini par
s'y imposer...
Et la stabilisation des caractères que vous
invoquez pour expliquer le succès de Gutenberg sur ses prédécesseurs chinois me
laisse un peu perplexe. Si celà avait été le point bloquant de l'imprimerie à
caractères mobiles en Chine, comment expliquer alors que la xylographie ait
continué à y être pratiquée à grande échelle, bien après que l'invention de
Gutenberg ne se soit déployée en Occident ?
Bien cordialement,
Pierre Schweitzer
----- Message d'origine -----
Envoyé : dimanche 16 mai 2004 20:38
Objet : Re: [typo] contribution et codage Mais il me semble que vous en tirez des conclusions excessives - en rien autorisées par le texte même que vous citez. Même si je vous rejoins sur votre conclusion. Personne n'a dit que les solutions de Wang Zhen ont eu une postérité sous la forme qu'il en a donné. Mais, pas plus pour Wang Zhen (fin XIIIe siècle) que pour Bi Sheng (XIe siècle !) ou aucun de leurs successeurs, le *nombre* de caractères chinois n'a posé de problème : jusqu'à 100 000 caractères pour un des contemporains de Wang Zhe... Et pas non plus lors de l'essor de la typographie en caractères métalliques, à partir du XVe siècle. Même si cette production est longtemps restée marginale, en effet, face aux avantages immédiats de la xylographie. En 5 siècles, il eut été étonnant que les solutions techniques n'eussent pas évolué... Le grand problème sur lequel ils ont tous buté (et qui n'a rien à voir avec le nombre des caractères) était celui de la stabilisation des caractères dans la forme, lors de l'impression - ce fut le coup de génie de Gutenberg, en Europe, de donner une solution satisfaisante à cet égard... L'adoption, par la suite, de la casse gutenbergienne n'a d'ailleurs en rien changé la question du nombre de caractères - et la PAO non plus. La casse non tournante de Bi Sheng résolvait en effet le problème du nombre de caractères (je n'ai jamis prétendu que c'était Wang Zhen qui avait "résolu" la question) : sa solution (reprise par Wang Zhen sur ses tables tournantes) consistait simplement à ranger les caractères selon l'ordre du dictionnaire des rimes, en les regroupant dans des casseaux contenant l'ensemble d'un groupe phonétique. Le principe n'a pas varié... en 10 siècles (pas mal, non ?). Simplement, les typographes modernes ont adopté l'ordre, non du dictionnaire des rimes (phonétique), mais du dictionnaire des clés (composantes graphiques). Unicode ne fait pas autre chose... Le problème n'était pas insoluble pour Bi Sheng ou Wang Zhe, dans la mesure où ils composaient une page (ou 2) au maximum (Gutenberg et ses confrères ne procédaient pas autrement !). Si l'on veut composer un *livre* entier, bien sûr, la casse nécessaire enfle considérablement (vrai aussi pour les imprimeurs européens, bien entendu). A fortiori si on veut conserver les formes pour une réimpression. D'où la solution de la casse murale (visible dans une des illustrations, du XVIIIe siècle). Mais c'était là un problème plus économique que proprement technique. Mais il est vrai qu'il fallait des opérateurs hautement qualifiés (lettrés eux-mêmes) pour gérer une telle casse. Un problème qui n'a pas trop été abordé jusqu'ici (il n'est pas évoqué non plus dans le recueil _Les Trois Révolutions du livre_, si je ne m'abuse) est celui des encres utilisées par les imprimeurs chinois, ainsi que le rappelle Tsien Tsuen-Hsuin : solubles dans l'eau (l'encre de Chine), elles ne convenaient ni aux types métalliques, ni aux types en terre cuite ou porcelaine. Les types en bois, bien sûr, résolvaient cette question (mais leur production était plus malaisée). Quant à mes "constructions"... Mis à part la phase "tambour" (où j'étais parti sur une idée sans trop prendre garde à ce qui était dit, ni aux contraintes particulières de la typographie chinoise), c'est tout bonnement l'analyse des textes des historiens de la question, corroborée par des illustrations qui, si elles sont plus ou moins fidèles, s'inspirent en tout cas directement des témoignages d'époque : celui de Wang Zhen lui-même, ou de Shen Gua pour Bi Sheng. Pour ce qui est de la possiblité effective de produire des livres de la sorte, il me semble que c'est plutôt votre doute qui est une construction... Ou alors, c'est croire que les historiens (chinois et autres) de la question sont soit victimes d'hallucination collective, soit coupables d'on ne sait quelle conspiration... Voir d'ailleurs les notes (a), (c) et (d), ci-dessous. A n'en pas douter, cela dit, la gestion de ce nombre de caractères a largement freiné l'essor de la typographie à caractères mobiles en Chine. Mais les principes adoptés dès le XIe siècle répondaient déjà à la question - dans les limites qu'imposaient la forme même de l'écriture chinoise. Là, c'est indiscutablement la PAO qui apportera la réponse. Et encore merci de votre apport et de cette critique.
désolé, j'avais abandonné mon poste quelques jours, sans aucune excuse valable... |
- Re: [typo] contribution et codage, (suite)
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts, 14/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Pierre Schweitzer, 16/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Christian Laucou-Soulignac, 16/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Pierre Schweitzer, 16/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Christian Laucou-Soulignac, 16/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts, 16/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Christian Laucou-Soulignac, 16/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts, 16/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Christian Laucou-Soulignac, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Pierre Schweitzer, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, mea info, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Jacques André, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, mea info, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Pierre Schweitzer, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Pierre Schweitzer, 17/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts, 18/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts, 18/05/2004
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts, 18/05/2004
Archives gérées par MHonArc 2.6.16.